Blog de l’art vous invite à découvrir ici l’interview de Wilman Gomez qui avec le soutien d’une équipe de passionnés bénévoles a monté une superbe exposition « les oubliés » visible en ce moment à la Halle Saint Gert à Bruxelles, après le Canada l’an passé.

Wilman, bonjour , comment est née l’idée de cette exposition ?  Y a-t-il eu un événement déclencheur qui vous a poussé à créer Les oubliés ?

Oui bien sûr. L’assassinat de mon frère en Colombie en 1991 alors qu’il n’était âgé que de 21 ans est resté marqué dans mon cœur. C’était une grande injustice, une fatalité. En quittant la Colombie, pays narco trafiquant et premier producteur de cocaine au monde, j’ai trouvé un monde où la sécurité de vivre et de s’exprimer est une chose que nous prenons pour acquise. La perspective de toutes ces années en occident m’a permis de pondre cette exposition pour montrer que tous n’ont pas la même chance et que les scandales humanitaires de mon pays d’origine passent toujours inaperçus. Que ce soit la répression ou les narcotrafiquants, les milices et les armées continuent de s’attaquer au peuple, aux gens et aux proches qui en souffrent.

 

Le titre évoque une mémoire effacée ou négligée. À qui faites-vous référence en parlant des “oubliés” ?

Tous ces gens morts, disparus et tous les proches de ces victimes sont oubliés, la Colombie est oubliée, l’Amérique du Sud est oubliée. Nous avons plein de gens autour de nous qui sont oubliés…

Oubliés ne veut pas dire qu’ils n’ont pas d’histoire. Les informations que nous avons, les histoires qu’on nous fournit, on se croit bien informés mais nous n’avons pas toutes les histoires. Mon exposition sert un peu à cela et sert à faire une introspection sur les oubliés, sur nous comme peuple favorisé qui consommons la cocaine et qui d’une certaine façon, faisons partie du problème là-bas.

 

Le rituel de la fleur blanche proposé aux visiteurs est très fort symboliquement. Quelle est sa signification pour vous ?

La magnifique fleur blanche est offerte en hommage à l’une des 60 victimes de l’œuvre « le mur des lamentations ». La fleur vieillit tout au long de l’exposition un peu pour montrer la vie et la mort, l’espace temps entre la naissance et la mort. Comme ces 60 victimes, les fleurs blanches mourront trop vite. Les 60 victimes de l’œuvre ont été assassinées par des militaires et para-militaires du gouvernement colombien suite au soulèvement populaire de 2021 après la crise de la COVID. Non, on ne nous parle pas de cela. On ne nous parle pas non plus du fait que la totalité des canaux d’information classiques (radio-télévision et journaux) en Colombie sont monopolisés par des gens qui ont des implications politiques très pointues et le filtre d’information  qui passe de la Colombie est très opaque.

 

Comment avez-vous pensé la scénographie dans l’espace des Halles Saint-Géry pour accompagner cette mémoire collective ?

L’exposition se veut un site de recueillement, on a donc tout fait pour cela. C’est une exposition principalement monochrome et qui se veut solennelle pour rendre hommage aux victimes, aux disparus et à leurs proches. Il y a aussi souvent un accompagnement personnalisé pour expliquer certaines oeuvres qui sont reliées à des évènements inconnus du grand public. Que ce soit le phénomène des « NN » ou le scandale des « Faux positifs » ou encore la fosse « Escombrera » ou le soulèvement populaire de 2021, tous ces évènements sont inconnus du public en général et soulèvent l’indignité quand on l’explique aux visiteurs.  Tous ces évènements sont faciles à valider si on le désire et il y a une vraie démarche documentaire de faite derrière toutes mes oeuvres. Il y a tant à raconter, je pourrais rajouter la tuerie des « bananieros » et les victimes sexuelles des gangs de narcotrafiquants, des milices et des para militaires… cette exposition pourrait facilement doubler en taille.

 

Votre travail évoque les violences en Colombie, notamment les “faux positifs”. Pourquoi était-il important pour vous de les représenter ?

Plus de 6400 victimes, souvent les plus démunis de la société, sont mortes lors de ce scandale des faux-positifs. On compte plus de 120 000 disparus et victimes en Colombie, soit plus que l’ensemble des dictatures du Chili sous Pinochet, d’Argentine et du Brésil au XXe siècle. Je pense qu’il faut en parler. Il fallait en tout cas que j’en parle et que je m’exprime.

 

Pensez-vous que l’art peut jouer un rôle dans les processus de vérité, de mémoire et de réparation ?

Oui… l’art peut rassembler et/ou diviser, mais il ne doit jamais laisser indifférent. Plusieurs personnes sortent de mon exposition en pleurant. Elles se sentent tristes et apaisées.  Si, pour un instant, j’ai pu faire ressentir à quelqu’un ce que beaucoup de gens de mon pays d’origine ressentent, alors j’aurai réussi. Si, pour un instant, j’ai pu faire prendre conscience d’une réalité inconnue du public, alors j’aurais réussi. C’est un peu comme ça que le dialogue doit commencer, en comprenant l’autre.

 

Nous avons été impressionné par le nombre de statuettes toutes différentes que vous avez réalisé pour évoquer un fleuve d’oubliés. Il y en a combien ?  Vous les avez créés personnellement ? , cela a dû vous prendre beaucoup de temps ?

Cette installation est un assemblage de 500 sculptures et d’une immense toile représentant le fleuve Rio Magdalena en Colombie. Cette installation représente le phénomène des « NN » ou « des sans noms ». Chaque année, on retrouve environ 500 corps flottants à la surface du fleuve, souvent sans visage et sans empreintes digitales de sorte que nous ne pouvons pas les identifier.

Je voulais illustrer ce que veut dire 500 personnes…

Oui, ça m’a pris du temps faire tout ça. Les bonnes journées, j’arrivais à en faire un maximum de 10 statues mais je faisais environ 5 à 6 par jour en moyenne. Toutes ces sculptures sont façonnées individuellement et sont faites en double cuisson. Elles sont semblables mais toutes différentes. Elles racontent beaucoup.

Est-il possible d’acquérir une oeuvre de votre exposition ? ou bien d’autres oeuvres ?  Si oui comment ?  Exposez vous dans une galerie ?

Je veux garder la collection ensemble pour le moment parce que le but serait d’amener cette exposition ailleurs, en Espagne et en Colombie en particulier. Je pense que sa place ultime serait de devenir une exposition permanente en Colombie.

 

J’ai une autre exposition en préparation; des peintures cette fois-ci. Je suis à la recherche d’un lieu pour la faire. Un sujet un peu différent mais tout aussi engagé: la mort de l’art. L’exposition s’appellera « RIP » et sera un hommage aux oeuvres classiques qui sont souvent la cible de manifestations pour toutes sortes de causes ou délaissées pour des oeuvres contemporaines commerciales faites en vitesse.

– et pour la suite, quels sont vos projets ?

Continuer de m’exprimer avec engagement grâce à l’art… aussi longtemps que je le pourrai!

Belle conclusion .

Pour en savoir plus sur l’exposition consultez notre article ici.

Blog de l’art, septembre 2025.