« Les oubliés » — Wilman Gomez Tamayo aux Halles Saint‑Géry, Bruxelles
Du 29 août au 8 octobre 2025

Un cri de douceur pour les absents

La Colombie est riche de cultures, de musiques et de paysages. Mais son histoire récente est aussi traversée par la violence, la disparition et l’exil. Avec « Les oubliés », l’artiste Wilman Gomez Tamayo transforme cette réalité en une expérience esthétique et sensible : un hommage aux victimes et à leurs familles, porté par la peinture, la sculpture, la lithographie et la performance.

Né en Colombie et installé entre la Belgique et le Canada, Gomez Tamayo travaille depuis des années une œuvre engagée, spirituelle et profondément humaine. Dans cette exposition, il laisse apparaître ce qui, trop souvent, reste tu : la présence des absents. Le geste y est central — un corps qui danse, une main qui modèle, une surface qui porte la trace — pour faire remonter à la lumière ce que la peur cherche à enfouir.

« Les oubliés », une exposition‑hommage

Au cœur des Halles Saint‑Géry, « Les oubliés » déploie un vocabulaire plastique sobre et intense. Les sculptures semblent sorties de la terre, comme des silhouettes retenues au seuil. Les peintures ouvrent des espaces de recueillement, des zones d’ombres et de traces où chacun peut projeter ses propres visages. La performance prolonge ces formes dans le temps du rituel : l’artiste invite chaque visiteur·euse à déposer une fleur blanche. Fraîche au premier jour, elle se fane au fil des semaines — métaphore de la vie et de la mort, marque d’une présence fragile qui réclame attention.

Ce rituel simple et bouleversant fait de l’exposition un lieu de mémoire active. Il ne s’agit ni de reconstituer, ni d’illustrer, mais d’habiter : occuper l’espace avec des gestes d’empathie, donner un nom collectif à l’absence, partager une responsabilité — celle de regarder, d’écouter, de se souvenir.

Une démarche au croisement de l’intime et du politique

La pratique de Wilman Gomez Tamayo naît d’un rapport intimement vécu à la violence et à l’exil. L’œuvre ne délivre pas de slogans : elle offre un espace, apolitique et universel, où la dignité des victimes devient le centre. À travers ses matériaux et ses gestes, l’artiste désarme l’indifférence et répare par la beauté ce qui a été brisé.

En écho aux processus de vérité, justice et réparation qui traversent aujourd’hui la société colombienne, « Les oubliés » propose un chemin sensible : reconnaître les blessures, regarder les morts et les disparus, et choisir la paix comme horizon.

Voir photos du vernissage sur notre groupe facebook.

Wilman Gomez artiste peintre sculpteur
Cupidon de la mort
L'enfant de la peur

Infos pratiques

  • Dates : du 29 août au 8 octobre 2025
  • Lieu : Halles Saint‑Géry, Place Saint‑Géry 1, 1000 Bruxelles
  • Horaires : tous les jours 10:00 → 24:00 (sous réserve, consulter le site des Halles)
  • Accès : entrée gratuite
  • Site de l’artiste : wilgomez.com
  • Site du lieu : hallessaintgery.be

Le contexte de l’exposition et la démarche de l’artiste exprimé en video.

Bio — Wilman Gomez Tamayo

Artiste colombien‑belge, Wilman Gomez Tamayo vit en Belgique depuis plus de 35 ans, avec de fréquents séjours d’étude au Québec. Son parcours atypique commence par la danse : ancien danseur professionnel au Ballet national de Colombie, il s’installe en Belgique à la suite d’une tournée européenne. Cette origine chorégraphique irrigue toute sa pratique plastique : le geste (qui peint, modèle, coud, brode) prolonge le mouvement du corps.

Formé en arts visuels et médiatiques (UQAM) et titulaire d’un diplôme en décoration intérieure, Gomez Tamayo cultive une maîtrise rare de multiples médiums : peinture, sculpture, moulage, lithographie, couture et broderie. Cette pluridisciplinarité lui permet d’articuler formes, matières et rituels au service d’une œuvre spirituelle, intime et sociale.

Au cœur de sa démarche : la dignité de la vie et la justice sociale, face aux violences systémiques qui frappent l’Amérique du Sud et bien au‑delà. « Les oubliés » s’inscrit dans cette trajectoire : faire place aux absences, réparer par l’attention, inviter à la paix.

Excalibur
El silencio del Rio Grande

Gallerie photos de l’exposition prise lors du vernissage:

Wilman Gomez Tamayo, Les oubliés — sculpture de deux bottes gauches, Halles Saint-Géry (Bruxelles, 2025).<br />
Cette paire impossible fait référence aux « faux positifs » en Colombie (2002-2008) : des civils exécutés par l’armée, déguisés en guérilleros pour simuler des victoires au combat. Les incohérences — comme des bottes identiques chaussées aux cadavres — ont révélé la mise en scène macabre. Ici, l’artiste transforme ce signe d’artifice en symbole de mémoire et de vérité.</p>
<p>(Photo © Blog de l’art / courtoisie de l’artiste)

Wilman Gomez Tamayo, Les oubliés — sculpture de deux bottes gauches, Halles Saint-Géry (Bruxelles, 2025).
Cette paire impossible fait référence aux « faux positifs » en Colombie (2002-2008) : des civils exécutés par l’armée, déguisés en guérilleros pour simuler des victoires au combat. Les incohérences — comme des bottes identiques chaussées aux cadavres — ont révélé la mise en scène macabre. Ici, l’artiste transforme ce signe d’artifice en symbole de mémoire et de vérité.

(Photo © Blog de l’art / courtoisie de l’artiste)

Deux bottes gauches : l’art pour démasquer les « faux positifs »

Avec une sculpture représentant une paire de bottes identiques — deux gauches, ou deux droites — Wilman Gomez Tamayo illustre l’absurdité macabre des « faux positifs » en Colombie : des civils exécutés, déguisés en guérilleros pour gonfler les statistiques militaires. Une mise en scène déshumanisante que l’artiste retourne en symbole de vérité.

Dans les années 2002 à 2008, l’armée colombienne a exécuté des civils innocents — souvent de jeunes hommes vulnérables — avant de les maquiller en guérilleros morts au combat. Cette pratique, connue sous le nom de « faux positifs », servait à gonfler artificiellement les bilans militaires pour valoriser l’efficacité des brigades.

Selon la Jurisdiction Spéciale pour la Paix (JEP), au moins 6 402 personnes ont été assassinées de cette manière. En février 2025, la JEP a mis en accusation 39 militaires (dont plusieurs généraux) et 2 civils pour la disparition forcée et le meurtre de 442 victimes présentées à tort comme des combattants tués entre 2004 et 2007.

Ces crimes se caractérisaient par une mise en scène post-mortem : les corps déplacés, habillés d’uniformes, armés artificiellement, parfois affublés de détails incohérents — comme des bottes toutes deux gauches ou toutes deux droites. Ces anomalies vestimentaires, révélées lors des enquêtes, sont devenues autant de signes que la scène était truquée.

En choisissant de représenter une paire de bottes gauches, Wilman Gomez Tamayo transforme ce détail morbide en métaphore artistique. Là où l’armée cherchait à brouiller les pistes, l’artiste met en lumière l’artifice et rend visible la manipulation : derrière les chiffres, derrière l’uniforme, se cachent des vies arrachées.

Auteurs de ce reportage: Martin & Philippe Brognon pour Blogdelart.be