Depuis quelques années, les musées du monde entier sont le théâtre d’actions spectaculaires : jets de soupe, peinture, collage sur les vitrines, voire coups de marteau… Ces gestes, souvent filmés et relayés sur les réseaux sociaux, visent des œuvres mondialement connues et suscitent à chaque fois la même question : pourquoi s’en prendre à l’art pour défendre une cause ?
Des attaques de plus en plus médiatisées
En octobre 2022, deux militantes du collectif Just Stop Oil ont lancé de la soupe à la tomate sur les Tournesols de Van Gogh, à la National Gallery de Londres.
En criant « What is worth more, art or life? » (« Qu’est-ce qui vaut le plus, l’art ou la vie ? »), elles voulaient dénoncer l’inaction politique face à la crise climatique. Le tableau, protégé par une vitre, n’a pas été endommagé, mais le geste a provoqué une onde de choc mondiale.
L’année suivante, d’autres activistes de la même mouvance ont frappé la vitre protégeant La Vénus au miroir de Velázquez, toujours à Londres, puis ont aspergé de peinture la sculpture La Petite Danseuse de quatorze ans de Degas à Washington. En 2025, un duo a jeté de la peinture rose sur un tableau de Picasso à Montréal, tandis qu’en Espagne, une fresque de Christophe Colomb a été recouverte de rouge pour dénoncer le colonialisme.
Les œuvres elles-mêmes sont rarement touchées, mais les images font le tour du monde en quelques heures.
Des motivations multiples, souvent politiques
Ces gestes ne sont pas nouveaux. Dès le début du XXᵉ siècle, des suffragettes s’en prenaient déjà à des tableaux pour revendiquer le droit de vote des femmes. En 1914, Mary Richardson entailla la toile La Vénus au miroir de Velázquez à coups de hache, en protestation contre l’arrestation d’Emmeline Pankhurst, figure du mouvement féministe britannique.
Aujourd’hui, la logique reste similaire : provoquer un choc visuel et symbolique pour attirer l’attention sur une cause.
Les musées, par leur prestige, offrent une tribune mondiale à ces gestes militants. Les activistes utilisent les œuvres d’art comme amplificateurs médiatiques — un moyen radical de dire : « si vous êtes choqués qu’on s’en prenne à un tableau, soyez encore plus choqués de ce que nous faisons subir à la planète ».
Mais au-delà de la revendication climatique, certaines attaques ont aussi des motivations culturelles ou morales : contestation du colonialisme, rejet de certaines représentations du corps, ou encore dénonciation de l’élitisme du monde de l’art.
L’art comme symbole : entre adoration et transgression
L’histoire de l’art est traversée par une tension permanente entre sacralisation et profanation.
Toucher à une œuvre, c’est toucher à un symbole collectif, à ce que la société érige comme intouchable.
Ces actes sont donc pensés comme des gestes de rupture : ils transforment le musée en scène politique et questionnent la place de l’art dans notre monde.
Certains chercheurs parlent même de « vandalisme performatif » : le geste n’est pas seulement destructeur, il est conçu comme un acte artistique en soi, qui interroge le rapport entre art, pouvoir et engagement.
Mais cette idée reste controversée : la majorité des conservateurs et du public y voient avant tout une atteinte au patrimoine commun.
Entre message et dérive
Si ces actions visent à alerter, elles provoquent aussi une profonde division.
De nombreux artistes, écologistes et historiens de l’art regrettent que ces attaques desservent la cause qu’elles prétendent défendre, en choquant le public plutôt qu’en le sensibilisant.
Les musées, quant à eux, se voient contraints de renforcer la sécurité, au risque d’alourdir encore l’accès aux œuvres.
L’efficacité de ces gestes reste donc discutée : ont-ils vraiment fait progresser le débat écologique ? Ou n’ont-ils fait que détourner l’attention de la question de fond ?
Une question de société
Les profanations d’œuvres célèbres ne sont pas des actes isolés : elles sont le reflet d’une époque où l’urgence sociale et écologique pousse certains à des actions extrêmes.
Elles révèlent aussi notre propre rapport à la culture : pourquoi ces images nous choquent-elles tant ? Peut-être parce que l’art, dans un monde fragmenté, demeure l’un des rares espaces encore perçus comme sacrés.
En conclusion
S’en prendre à une œuvre d’art pour défendre la vie ou la planète, c’est frapper là où l’émotion collective est la plus vive.
Mais entre coup d’éclat militant et violence symbolique, la frontière est mince.
L’art, depuis toujours, résiste, se régénère — et continue, paradoxalement, à nous rappeler qu’il est le miroir des passions humaines, qu’elles soient créatrices ou destructrices.
Nous comprenons l’urgence des causes défendues par certains activistes, qu’il s’agisse de la protection du climat ou de la justice sociale. Cependant, nous condamnons fermement toute forme de vandalisme envers les œuvres d’art, quels qu’en soient les motifs.
Ces créations ne sont pas seulement des objets de beauté : elles constituent le patrimoine commun de l’humanité, le fruit du génie, de la mémoire et de la sensibilité de générations d’artistes.
Les attaquer, c’est s’en prendre à ce que nous avons de plus universel : notre culture, notre histoire et notre capacité à transmettre l’émotion et la pensée par l’art.
